Lancé par le Conseil départemental, le Mag Jeunes offre aux adolescents et jeunes adultes nivernais un espace rare d’expression libre, où se mêlent témoignages, tranches de vie et avis tranchés sur des enjeux de société – harcèlement, anorexie, handicap, etc. La présentation du numéro 2, jeudi dernier au Café Charbon, a mis des visages lumineux sur des mots écorchés, et bouleversé le public par la force des témoignages.
D’une voix douce et égale qui fait bien plus que ses 15 ans, Elona raconte l’enfer. Le harcèlement scolaire, vécu dans l’école primaire où elle avait eu le malheur d’arriver en nouvelle élève, « à part, différente, pas très mode », bref, tout ce que certains enfants « n’aiment pas » et font payer au prix fort. A l’âge tendre, Elona a vécu les moqueries, l’isolement, les coups parfois, tout ce qui tétanise le quotidien, ronge les jours et dévore les nuits : « Je sais ce que ça fait de voir la méchanceté dans les yeux des autres. J’ai été brisée. Cela fait mal, très mal. On apprend à ne plus faire attention au regard des autres. Ça m’a endurcie », témoigne la lycéenne sur la scène du Café Charbon, lors du lancement du deuxième numéro du Mag Jeunes, dans lequel elle a décrit son expérience, en quelques paragraphes ciselés au scalpel.
Dans la salle silencieuse, la centaine de spectateurs écoute, émue. Les questions fusent, les mots de soutien aussi : « Il faut que la parole sorte. » Elona raconte qu’elle va mieux, qu’elle s’est liée d’amitié avec « d’autres harcelées », qu’elle refuse la vengeance : « Je ne veux pas leur ressembler, je ne veux pas haïr comme ils m’ont haïe. » Que fera-t-elle si elle est à nouveau harcelée, demande un spectateur : « J’en parlerai à ma famille. Et à mes amis, si j’en ai. Parce que, quand on est harcelé, on n’a plus d’amis. »
La puissance de la parole exhausse la force des mots qui irriguent les 60 pages du Mag Jeunes, lancé par le Conseil départemental et mis en œuvre par le service Jeunesse comme « un espace d’expression libre », rappelle Wilfrid Séjeau, vice-président en charge des collèges et de l’éducation, de la culture, de la jeunesse et de l’enseignement supérieur, lors de son allocution délibérément brève : « Laissons la parole aux jeunes. Si je n’ai qu’un message à vous donner, c’est celui-ci : allez-y, prenez la parole, l’équipe du service Jeunesse est là pour vous accompagner. »
Expériences à l’international, premiers pas dans l’entrepreneuriat, projets pédagogiques, chroniques culturelles : le sommaire du Mag Jeunes reflète la variété kaléidoscopique des préoccupations des auteurs, collégiens, lycéens, étudiants ou jeunes adultes, citadins et ruraux. Dans le chapitre le plus intense, celui des témoignages, le quotidien d’une aide-soignante croise le combat d’une jeune fille handicapée pour l’accès à l’emploi, et les ravages de l’anorexie mentale.
Et la figure inoubliable d’Océane, « guerrière à dos de licorne », blonde tornade qui monte à son tour sur la scène du Café Charbon parler d’elle, de ses 27 ans déjà trop tailladés de souffrances mais transcendés par une irrésistible pulsion de vie. Conductrice de semi-remorques et d’engins de chantier, la jeune femme raconte en riant la misogynie qu’elle combat bille en tête, les regards dont elle chasse le scepticisme en garant ses poids lourds avec une précision d’horlogère : « Etre une femme, j’ai longtemps cru que c’était presque un handicap. Mais les barrières, on se les met nous-mêmes. Il faut sortir des clous et se faire écouter. Ma réussite, je la dois à mon caractère de merde. Les limites, elles commencent par les autres ; si on arrête de les écouter, ça va. »
Sous le sourire et le bagout assuré, la douleur n’est pas loin, perçant la surface et craquelant la voix d’Océane quand elle évoque son deuil périnatal. Puis l’humour repasse aux commandes, gorgé d’une autodérision qui embarque le public. La tornade regagne son siège sous les applaudissements. La soirée reprend son cours, jalonnée d’interventions et de projections de films jusqu’au bouquet final, le concert de Copycat exaltant la belle harmonie des voix d’Apolline Magnet et Zoé Barge, basse et guitare, puissance et douceur, acide et sucre. Comme le parfait reflet d’un Mag Jeunes bien né.
