Autour d’une discussion avec Randy Bertil, illustrateur nivernais, au sujet de ses influences artistiques, il m’a fait part de sa réflexion. Son cheminement s’inscrit dans une suite de déménagements, partant de l’île de la Réunion avec comme destination la Nièvre et plus précisément, Nevers. Son identité semble être marquée par ses racines réunionnaises et elles apparaissent comme une richesse pour ses créations. En retraçant son origine, il a pu non seulement développer son style mais aussi traiter des récits en lien avec une esthétique et une histoire particulières. J’ai découvert l’exposition Frontières dans le cadre du Festival Sur le Chemin des Pionniers. Cet événement a mis à l’honneur la migration. Par choix ou non, beaucoup de personnes quittent leur lieu de vie pour rejoindre d’autres territoires. L’immigration passée et actuelle permet de s’enrichir. Elle retrace bien souvent des blessures et des transformations liées à l’identité et sont un véritable apport culturel pour les pays d’accueil. Les vingt panneaux présentés ont été dressés fièrement dans le hall de La Maison de la Culture de Nevers. L’exposition est itinérante, c’est-à-dire qu’elle est là pour bouger, comme les exilés qui sont amenés à partir ou à revenir de territoires en territoires. Cette présentation propose de s’interroger sur des réalités à travers la notion de frontières. Sous forme de parcours thématique, les regardeurs découvrent des articles de presse, des recherches, des récits de migrants et des cartes reconstituées. LES CORPS SAVENT DIRE « NON! », LA PAROLE PEUT S’INSOUMETTRE ET PORTER PLAINTE AU TRIBUNAL DE L’HISTOIRE. Les exilés ont souffert, ont fui, se sont déplacés pour constituer l’énergie du refus de la souffrance. Malgré les barricades, malgré l’arme qu’est le passeport, les soulèvements se succèdent. Dès qu’un mur se dresse, il y a toujours des soulevés pour traverser la frontière. L’exposition est là pour réinventer nos espoirs politiques d’accueil des réfugiés. La déambulation entre les différentes images et écrits paraît comme un livre pour mieux comprendre les enjeux contemporains des frontières. C’est un regroupement des histoires de ceux et celles qui les traversent encore aujourd’hui. La frontière, qu’elle soit naturelle ou construite par l’homme, nous éloigne de l’Autre dans une société où le vivre ensemble est essentiel. Une fois arrivés sur les territoires, la question de ce mur se pose encore. L’institution est violente et ignore de nombreux jeunes mineurs étrangers isolés qui arrivent dans certains pays sans représentants légaux. Ils fuient des guerres, des massacres, des crises importantes et se retrouvent loin de leurs proches, sans parents. Ces exilés semblent être en danger, puisque la prise en charge reste défaillante, comme le précise la Cimade, association qui défend les droits des réfugiés : “un·e jeune qui se présente comme mineur·e est rarement mis·e à l’abri le temps de l’évaluation et vit à la rue, sans aucun accompagnement, en attendant l’évaluation de sa situation”. L’accompagnement n’est donc pas sécurisé. La frontière éloigne donc physiquement, symboliquement mais aussi affectivement chaque être humain. Depuis 2006, les États-Unis ont mis en place une barrière anti-migratoire aux abords du Mexique, celle-ci témoigne de tensions politiques et symbolise une séparation entre les deux pays. En plus de ces crispations, la frontière est dangereuse. La traversée de la mer Méditerranée est une épreuve pour les exilés qui risquent leur vie (plus de 900 personnes ont perdu la vie en voulant traverser la mer Méditerranée en 2021 aux portes de la Libye, rapporte l’OIM (l’Organisation Internationale pour les Migrants). Ils décèdent dans des naufrages, des familles entières se voient alors brisées. Les trajets qu’empruntent les migrants sont très meurtriers. Plutôt que de sécuriser un État avec des frontières, il serait plus judicieux de sécuriser l’étape cruciale des frontières elle-même. Ne pas voir la brutalité de ce passage semble mettre en place une invisibilisation des réfugiés. Les survivants de l’exil se retrouvent pour certains à Calais ou à Saint-Denis dans des camps où toutes les formes de violences dominent. Il y a, d’un côté, l’aveuglement de l’État qui ne les regarde pas, et de l’autre, des exilés qui ont survécu à la torture. Ces migrants qui deviennent, en somme, des victimes de traumatismes, ont le droit d’être libres. Pour ce faire, il est nécessaire de les rendre visibles, de les entendre, de demander qu’ils soient relogés dignement mais aussi de respecter leurs droits fondamentaux. Est-ce vraiment, dans ce contexte, si utopique que de voir un monde libre de circulation? En cas de crises, l’État se replie sur lui-même et ferme ses frontières (l’exemple actuel du Covid le montre). Il veut absolument contrôler qui vient et qui ne vient pas, il exclut, met en danger des milliers de personnes. Est-ce alors un idéal que d’être insoumis, aujourd’hui? La question qui se pose alors à nous, à la fin de ce parcours, est : « Dans quel monde voulons nous vivre? ».