Nouvelle écrite par Lisa, jeune Nivernaise
« Ne pense même pas à me demander comment je vais. »
Mon avertissement fonctionne, Holly ne dit rien. Elle qui a l’habitude de me raconter l’entièreté de sa vie. Je pense que, même si je me transformais en mur, elle continuerait de débiter des banalités. Je n’ose jamais lui dire que je m’en fiche de ce qu’elle a pu manger la veille ou de quand est prévu son prochain cours de tennis.
Avant, ce n’était pas comme ça. Depuis que notre collège a avancé les heures de début des cours à 7 h 40 pour, je cite, « permettre aux étudiants de finir plus tôt », je suis dans un état de fatigue constant. De plus, les promesses enrobées de sourires niais que nous ont faites les responsables de l’établissement sont fausses. Nous finissons toujours à la même heure, pour travailler davantage. Tout le monde s’en plaint, personne ne fait rien. Les élèves ici sont peu intéressés par leur éducation.
Toujours en compagnie de mon amie, je pénètre dans l’établissement scolaire. Le brouhaha des conversations indistinctes me vrille les tympans, renforçant ma mauvaise humeur. J’ai probablement une tête abominable et des yeux à moitié fermés, décorés de cernes violacés. Je dormais déjà peu à cause des insomnies récurrentes, mais maintenant mes heures de sommeil se retrouvent davantage limitées.
Tous mes camarades semblent remarquer mon pitoyable état et grimacent. Mes joues chauffent à cause de la gêne, puis je m’empresse de baisser le regard vers le sol.
« Regarde », ose finalement Holly en me mettant son écran de téléphone sous le nez. « Ils célèbrent la naissance d’un bonobo dans un de leurs zoos les plus réputés… »
Je jette un coup d’œil distrait à l’info qui s’affiche sous mes yeux, me disant sans doute que ce qui se passe là-bas est une utopie inatteignable doublée d’une vaste blague. Un soupir m’échappe, et mon regard revient à l’adolescente dont le sourire pourrait atteindre ses oreilles.
« Cool pour eux. Je suis censée en avoir quelque chose à faire ?
« Helen… », râle-t-elle.
Son sourire se dissipe.
« Je m’en fiche. Ils ne font que s’enthousiasmer par rapport à la naissance d’un simple singe… »
« Tellement simple qu’il est en voie d’extinction. »
Je réprime une remarque désobligeante, peu désireuse de perdre une amie, et me contente d’une réplique hors-sujet :
« On a qui, comme prof, là ? »
« Evans. »
Notre professeur de chimie, M.. Evans, est de loin mon favori. Il est drôle, clair dans ses cours, et il nous aide toujours, mes camarades et moi, quand un exercice nous pose problème. En bref, c’est un bon prof. Et la chimie, c’est mon fort.
« Oh. »
Je tourne la tête vers mon amie en entendant ce son.
« Qu’est-ce qu’il y a ? », demandé-je.
Elle me montre une nouvelle fois son portable. Sur son écran, un article de journal est affiché. Son titre : « Un homme d’une vingtaine d’années intercepté à la frontière accronième ».
« Il a essayé de s’échapper ? »
Holly hoche la tête. Je lâche un rire méprisant. Ce type pensait pouvoir s’en aller ? Laissez-moi rire. Les frontières de cette région sont mieux protégées que la Zone 51 ; autant ne rien tenter. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’une tentative d’évasion a lieu. Chaque fautif s’est fait attraper et exécuter.
« C’est gai, n’est-ce pas ? »
« Oui », me répond-elle, les yeux fixés sur son téléphone. « Ici, il ne tardera pas à être considéré comme un héros. »
« Ça ne m’étonne pas. »
Comme tous les autres auteurs de ce type de geste. Je me souviens d’il y quelques années, quand une femme avait tenté d’abattre des gardes, pour passer. Elle aussi a été condamnée à mort, et a eu droit à une cérémonie, ici même.
La sonnerie de début des cours retentit. Tout le monde se dirige vers sa salle de classe. Je fais de même et tourne à l’intersection d’un couloir pour rejoindre la salle de sciences. Cela s’annonce déjà agaçant ; mes facilités en sciences font que je m’ennuie vite en cours.
Holly prend place à côté de moi. Elle a enfin fourré son téléphone dans son sac avant de se faire réprimander par notre professeur.
« Bon », commence M.Evans une fois que tous les élèves ont pris place. « Reprenez votre cours sur les centrales nucléaires. »
Ce chapitre est d’un ennui mortel. Habituée, je fais comme tout le monde et sors mon cahier de mon sac pour le poser sur ma table, devant moi. S’ensuivent quarante bonnes minutes durant lesquelles notre professeur nous bourre le crâne de notions scientifiques, de schémas de fonctionnement de ces centrales et du pseudo-fonctionnement de la disparition des déchets nucléaires.
Mais, à un moment, tout devient plus intéressant. Un camarade lève la main, sans doute une question en tête. Le professeur l’interroge.
« J’ai l’impression que l’uranium est assez similaire à l’accronium », commente l’élève.
« Eh bien, l’uranium, tout comme l’accronium, peut par exemple donner plusieurs pathologies graves aux êtres vivants. Il y a, à vrai dire, deux différences découvertes entre ces deux éléments. L’accronium provoque, comme vous le savez, une maladie de la peau contagieuse et mortelle, là où l’uranium provoquera plutôt des cancers. Puis, l’accronium ne produit pas d’énergie lorsqu’il est divisé. »
« Est-ce que c’est inutile, du coup ? », s’interroge une autre adolescente.
Le professeur hoche la tête.
« Oui, plutôt. Ici, nous en sommes tous victimes, malheureusement. »
Je connaissais déjà les problèmes de santé que cet élément engendrait : la peau enfle et se décolle de la chair, créant des sortes de cloques sur le corps. Cela ressemble beaucoup à l’épidermolyse bulleuse, ou à bon nombre d’autres pathologies toutes aussi sympathiques les unes que les autres, mais non. Cette pathologie-là provoque aussi des pertes de mémoire, des hallucinations et des moments d’euphories injustifiés. Un peu comme une drogue.
Je laisse de côté mes pensées en sentant ma tête pencher vers l’avant. J’ai terriblement besoin de dormir. Les conséquences de mon trop fréquent réveil à 5 h 15 du matin, dans l’unique but de venir m’instruire dans le seul collège n’ayant pas été détruit dans un rayon de 75 km, commencent à se faire sentir. Holly fredonne l’air d’une musique typiquement rétro sur la chaise voisine et remarque mon état.
« Hé, ne t’endors pas. »
« Super, merci », répliqué-je, sèche. « C’est sûr que, maintenant que tu me le dis, je ne risque plus rien. »
Elle soupire, puis me laisse dans ma fatigue. Je deviens plus irritable de jour en jour, et je m’en veux. Mais je ne peux rien y faire, c’est le manque de sommeil qui me joue des tours.
Je secoue la tête, comme si ça suffisait à faire disparaître la sensation de poids excessif dans mon crâne, mais visiblement non.
La fin du cours arrive heureusement pour me sauver. Tout le monde se lève de sa chaise et quitte la salle en marmonnant un vague « au revoir » en direction du professeur, qui ne prend même pas la peine de nous répondre, mais je l’entends marmonner :
« Le sujet du prochain devoir portera sur l’accronium… »