En décembre 2017, Orelsan sort EPILOGUE la réédition de son troisième album studio La fête est finie. Dans ce projet nous pouvons retrouver des sons comme Dis-moi, Rêves bizarres ou encore La famille, la famille. Mais le morceau qui m’a le plus interpellé, notamment la production musicale, c’est Mes grands-parents. On y retrouve une prod de Skread le beatmaker attitré d’Orelsan armé d’un sample d’un titre de Colette Magny. Un sample, c’est un extrait de son. Beaucoup de beatmaker choisissent d’extraire des parties de musique de films ou bien des suites d’accords provenant d’une chanson déjà existante puis de les détourner, de les réutiliser pour créer un nouveau son. En choisissant comme sample des accords provenant de J’ai suivi de nombreux chemins et en ralentissant le tempo , Skread a égayé ma curiosité. À la fin de Mes grands-parents d’Orelsan nous entendons une femme dire: “J’ai suivi beaucoup de chemins J’ai ouvert de nombreux sentiers” Le chanson évoque les grand-parents du rappeur et le choc générationnel entre leur passé
et notre présent. J’ai d’abord cru à une nouvelle collaboration avec sa grand-mère à l’instar du titre J’essaye J’essaye, enregistré avec cette dernière en 2016. Je pensais que la femme qui chantait ces deux phrases était sa grand-mère.
Mais un jour, j’ai découvert une interview dans laquelle Orelsan abordait sa découverte de Colette Magny et de ce sample. Je m’étais donc trompé, cette femme qui chante, ce n’est pas sa grand-mère mais Colette Magny; une chanteuse qui m’était jusqu’ici totalement inconnue. J’ai donc mené mon enquête sur les traces d’une grande femme, d’une grande artiste. En 1963, Colette Magny sort sur un 45 tours le morceau Melocoton. La chanteuse française s’est toujours définie comme anarchiste. Elle s’est toujours revendiquée comme “anti industrie musicale”. Par exemple, elle jouait ses morceaux durant les grèves ouvrières de 1968. Et le seul morceau qu’elle a produit sur une grosse scène c’est à l’Olympia à l’occasion de la première partie de Sylvie Vartan. Ce morceau, c’est Melocoton une chanson qui sort totalement du répertoire musical de l’artiste. Le premier pilier de son oeuvre, ce sont les reprises de poèmes,
notamment ceux de Victor Hugo. Le second, c’est la chanson engagée, elle chante alors la colère du peuple et proteste contre la discrimination et les inégalités; ce qui lui vaudra d’ailleurs la censure dans toute les radios. On raconte même que lorsque que l’ORTF (L’ Office de radiodiffusion-télévision française) recevait un 45 tours de Colette Magny, il le rayait immédiatement. Le dernier axe de son répertoire est la reprise de grands bluesman et blueswoman des Etats-Unis. Ainsi, elle a énormément réinterprété Billie Holiday. Parmi toutes ces chansons, un OVNI demeure, Melocoton. Cette chanson sonne comme une petite balade dans la fête foraine d’un village. Elle
raconte l’histoire de ses deux neveux et nièces qui se promènent dans le jardin de la maison familiale, à Versailles. Colette Magny pose
directement le décor de la chanson avec une phrase d’introduction qui nous laisse imaginer la scène “Melocoton et Boule d’or, deux gosses dans un jardin.” S’ensuivent de nombreuses questions du plus petit, Boule d’or et sa grand soeur Melocoton lui répond sans cesse “j’en sais rien”. Elle demande alors à son frère de s’amuser sans penser aux problèmes familiaux. Cette chanson, Colette Magny
en aura honte durant longtemps, elle ne l’assumait pas et trouvait que ça ne la représentait pas. C’est dommage quand on sait que Melocoton est le plus gros tube de sa carrière !